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On arrête pas le progrès !

mardi 30 septembre 2008


Dans cette société où rien n’est plus reconnu socialement que d’être un ingénieur qui innove, on n’ose imaginer à quel point l’évolution technologique est en progrès constants. Le succès de nombreuses séries télévisées comme Les Experts atteste de la fascination médiatique pour les techniques de police scientifique et ce, quels qu’en soient les présupposés moraux. Rien de plus insidieux pour nous apprendre à aimer leur camelote et les logiques qui les sous-tendent. Tout est toujours bon pour arrêter un violeur, un assassin, un terroriste : ADN, traces biologiques, écoute téléphonique. L’alliance de la "science" et de la police ne pouvant être que du côté du bien et de la vérité, nous aurions tout à gagner à la généralisation de ces pratiques diablement efficaces.

Appliquées à l’art du contrôle social, ces techniques laissent cependant présager du pire. Et à bien y regarder, leur banalisation n’a finalement plus grand chose à voir avec l’épanouissement du genre humain. A l’inverse, elles répondent à l’exacerbation constante du "sentiment d’insécurité" et à la fabrication en continu de "cette peur conservatrice et crépusculaire qui crée le désir d’avoir un maître qui nous protège" . Petit passage en revue agrémenté de quelques utilisations pratiques d’aujourd’hui (et de demain).

La puce RFID (en anglais : Radio Frequency Identification)

Ce sont des puces électroniques qui véhiculent des données pouvant être lues à distance et, dans le cas des étiquettes dites actives, il y a également la possibilité d’écrire et de réinscrire des données. Dans le commerce, le RFID remplace progressivement les codes-barres et son utilisation industrielle vise souvent à assurer la traçabilité des marchandises. Appliquée à l’humain, RFID permet d’abord la localisation des personnes : au Japon, ces puces sont insérées sur les cartables de certain-e-s écolier-ères ou directement sur leurs vêtements. Et ces possibilités sont dédoublées si on prend en compte la capacité d’enregistrement d’informations qu’offre la puce. Le groupe Applied Digital, qui a déposé une marque pour son petit rejeton du nom de VeriChip, implante d’ores et déjà ses puces sous la peau de patientEs d’hôpitaux, histoire, à n’en pas douter, de faire un geste pour l’environnement en se passant du carnet de santé. Cette même société propose d’en ajouter sous la peau des immigréEs contrôlés aux frontières, dans l’optique d’aider à "la maîtrise des flux migratoires".

Déjà, depuis 2006, l’Etat français produit des passeports électroniques contenant une puce RFID et il a dernièrement investi deux millions d’euros pour la création d’un centre national RFID. Des tests y sont effectués afin de coupler vidéosurveillance et RFID.

EDVIGE, FNAEG et les autres.

Le dernier né des 36 fichiers de police déjà existants, Edvige (pour Exploitation Documentaire et Valorisation de l’Information Générale), a beaucoup fait parler de lui. Recensant des données sur l’orientation sexuelle, l’état de santé ou encore les relations adultères, photographies à l’appui, ce nouveau fichier franchit une étape importante en matière de flicage tous azimuts. Les justifications apportées n’ont rien d’original : la défense de "l’ordre public", alibi systématique pour assimiler contestation sociale et violence. Fait sans précédent, ces dispositions concernent aussi tous les individuEs dès 13 ans et amèneront à coup sûr les éléments de la classe laborieuse à porter très tôt l’étiquette fatale de classe dangereuse.
L’acte de naissance d’Edvige, fin juin dernier, est paru au journal officiel en même temps qu’un nouveau service policier, la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur), fusionnant les deux grandes oreilles de la République : les Renseignements Généraux, jusqu’alors chargés de la surveillance des partis politiques, associations et syndicats, et la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), chargée elle de " prévenir " les actes de terrorisme. On se demande d’ailleurs pourquoi ses membres n’ont pas encore étaient parachutés sur le sol afghan.

Nous nous refuserons cependant à faire preuve d’ignorance crasse en feignant de découvrir qu’il existe, sous tous les régimes, des polices politiques. Le problème n’est pas dans l’aménagement des RG mais bel et bien dans leur existence. Et Edvige ne doit pas nous faire oublier que le flicage le plus dangereux demeure silencieux et invisible. Véritable chimère policière, cette logique du soupçon universel touche avant toutes choses des populations cibles : les étrangers, les mineurs des quartiers populaires, les gens du voyage, mais aussi leurs soutiens politiques. Le fichier ELOI est un exemple parlant, qui recense depuis fin 2007 les sans-papiers sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière mais aussi les personnes qui les hébergent et leur rendent visite en centre de rétention.

L’œil de Big Brother

2 à 3 millions de caméras de surveillance guettent aujourd’hui les lieux publics en France, même si les chiffres du ministère de l’Intérieur n’en reconnaissent que dix fois moins. La raison ? Beaucoup de ces dispositifs prospèrent en dehors du cadre légal. En juillet 2007, Alliot-Marie annonçait sa volonté de tripler le nombre de caméras d’ici 2009. C’est à ce point un enjeu idéologique que la ministre de l’Intérieur a récemment imposé dans les documents administratifs et sur les panneaux destinés à l’information du public, le néologisme de "vidéoprotection" parce que, dixit M.A.M, "le but des caméras est bien de protéger les citoyens". On s’en serait douté ! Mais disons que le regard froid de l’objectif a d’abord pour conséquence l’auto-inhibition de l’individuE et l’intériorisation de la surveillance quasi permanente.

Le flic dans la tête

En matière d’enfermement, le bracelet électronique nous est régulièrement présenté comme le moyen de désemplir les geôles surpeuplées. Relié à la ligne du téléphone ou à un GPS, il est censé permettre le déroulement d’une vie familiale, affective et sociale. Le bracelet ne retient pas physiquement la personne, c’est elle qui doit s’imposer l’interdit de sa liberté, logique aliénante qui pose les barreaux à l’intérieur même du psychisme de l’individuE. Dans les faits, l’extension de l’utilisation du bracelet électronique ne vient en réalité pas désemplir les prisons, mais à l’inverse sanctionner une foule de délits qui jusque là n’étaient pas ou moins sévèrement punis. Là où l’on pensait que le bracelet correspondait à un allégement de l’incarcération, il aboutit en fait à un renforcement du contrôle judiciaire et social… et pousse l’individuE à devenir son propre maton.